Plusieurs analystes ont signalé que les gouvernements africains font actuellement face à une crise imminente de la dette. Les partisans de cette opinion formulent leurs arguments à partir des risques relatifs au coût et à l’engouement grandissant d’une dizaine de pays pour les obligations d’État. En revanche, la Banque africaine de développement (BAD) affirme que le continent est loin d’être confronté à une crise de la dette. Elle fonde son argument sur le taux relativement faible du ratio moyen dette publique sur PIB qui se situe environ à 17-18 pour cent. Il faut toutefois noter que beaucoup des 54 pays africains ne peuvent pas encore accéder aux marchés étrangers de capitaux et de dette. Les deux arguments méritent réflexion. En effet, même si la majorité des pays affichent un faible niveau d’endettement, ce fait masque la tendance préoccupante à encourir un taux d’endettement élevé et insoutenable observée dans une dizaine de grandes économies africaines.
Certains commentateurs préviennent qu’il faut éviter un taux d’endettement supérieur à 50 pour cent du PIB, mais la principale préoccupation est le coût de la dette et son impact à moyen terme sur les dépenses publiques.
Essentiellement, un gouvernement doit garantir qu’il y ait toujours des fonds pour assurer ses activités, comme le paiement des salaires des infirmières et des enseignants ou le coût d’un déplacement du Président pour une réunion de l’ONU. S’il est décidé de subventionner ces activités, il faut trouver les fonds. Certains sont réunis au niveau national, le reste doit être emprunté, et intuitivement, moins un gouvernement veut emprunter, moins il fera ou plus il devra reporter certaines dépenses à une date ultérieure.
Cette description simplifie certainement à outrance des opérations extrêmement complexes qui impliquent la gestion quotidienne de la trésorerie dont un gouvernement aura besoin, ainsi que tous les risques qui s’y apparentent, savoir où trouver les fonds sur les marchés locaux et internationaux et quels instruments utiliser, et tenir des registres de tous les encaissements et décaissements. Lorsque les capacités à remplir les fonctions d’un bureau de la dette publique font défaut, lorsque des considérations politiques entraînent des emprunts insoutenables, ou encore quand l’attrait de fonds coûteux incite un gouvernement à se lancer dans un projet d’infrastructure, un pays a plus de chances de dépasser ce qui serait considéré comme un niveau raisonnable de remboursement des dettes. Ce phénomène est exacerbé par les types de dettes que certains pays engagent et qui sont principalement étrangères et coûteuses.
L’hypothèse de la « crise imminente de la dette africaine » est donc valable pour les pays dont on considère qu’ils ont atteint un niveau de dettes, principalement étrangères, qui sape leurs plans de dépenses, et au pire, qui pourrait entraîner un défaut de paiement – car ils ne sont pas en mesure de rembourser. C’est le cas pour une dizaine de pays africains. Une combinaison des facteurs suivants explique pourquoi la dette est devenue un problème :
- La priorité n’a pas été donnée aux capacités en matière de dette et de gestion de la trésorerie à la suite du grand programme d’allégement de la dette appliqué entre 1999 et 2005, dont le but était de garantir qu’aucun pays pauvre ne soit aux prises avec une dette qu’il ne pouvait gérer ;
- L’engouement pour les obligations libellées en devises et leur émission, comme les euro-obligations et d’autres dettes libellées en devises, est de plus en plus présent pour combler un déficit de financement dans le cadre d’investissements dans les infrastructures et des dépenses ordinaires. Les prêts concessionnels accordés par les banques multilatérales de développement ont un taux d’intérêt moyen de 1,6 pour cent sur une période de remboursement de 28 ans, tandis que les euro-obligations en question ont un taux variable moyen de 6,2 pour cent sur une période de remboursement de 11 ans ;
- Associé à la hausse des frais d’intérêt, aux dérapages politiques et aux chocs extérieurs, le déclin des prix des matières premières comme le pétrole a sapé les perspectives de croissance à moyen terme.
En avril 2016, CABRI a lancé un programme qui appuiera la gestion de la dette publique et la réforme du développement des marchés d’obligations. Ce programme collectera, analysera et diffusera également des statistiques sur la dette publique, sur une plateforme centrale à la disposition des praticiens et des acteurs du marché. Jusqu’à présent, le programme a tenu des ateliers de conversation sur la gestion de la trésorerie avec des gestionnaires de trésorerie du Ghana, de Maurice, de Namibie, des Seychelles, d’Afrique du Sud, d’Ouganda et de Zambie. En août 2016, CABRI tiendra un atelier pour aider les fonctionnaires ougandais en charge de la gestion de la dette à analyser les problèmes et à mettre au point des mesures qui orienteront le bureau de la dette publique récemment créé.
En tant qu’organisation intergouvernementale africaine, la position de CABRI sur la « crise imminente de la dette africaine » est la suivante : même s’il n’est pas nécessaire de céder à la panique, les pays africains doivent prendre l’initiative d’acquérir les capacités de gérer leurs stratégies d’emprunt pour éviter que le coût de la dette compromette considérablement leurs futurs plans de dépenses, ou pire, qu’il entraîne un défaut de paiement de la dette.