Yashwantsingh Ramdharee est directeur à la Mauritius Cane Industry Authority (Autorité de l’industrie cannière de Maurice), où il dirige un centre de vulgarisation de la canne à sucre qui se concentre sur la mise en œuvre des projets gouvernementaux. Il a participé à la revue-pays de CABRI sur Maurice qui portait sur le rôle des gouvernements dans le développement des chaînes de valeur dans le secteur de l’Agriculture. Il a pris part au débat de spécialistes intitulé « Investir dans les chaînes de valeur pour la transformation économique ». Le blog donne une vue d’ensemble de l'industrie de la canne à sucre mauricienne, en offrant des informations très intéressantes sur certaines des initiatives qui visent à augmenter les revenus des petits producteurs de canne à sucre.
Maurice est un pays insulaire couvrant une superficie de 1 864 kilomètres carrés qui se trouve à l'est de Madagascar et de la côte sud-est de l'Afrique. Les économistes citent souvent Maurice comme un exemple de réussite économique, qui a pu évoluer d'une monoculture de la canne à sucre dans les 51 ans qui ont suivi son indépendance, à une économie diversifiée comprenant les textiles, le tourisme, la finance et les technologies de l'information. Mais cette réussite est-elle si parfaite ? La situation est en train d’évoluer. Ce blog examine quelques-uns des défis auxquels font face les petits producteurs de canne à sucre ainsi que des initiatives et des programmes connexes dirigés par le secteur privé et le gouvernement visant à leur apporter un soutien.
Le sucre est indéniablement associé à l'histoire et au développement du pays, remontant à 1639, lorsque les colons néerlandais l'ont introduit pour la première fois. Aujourd'hui, même si la production sucrière reste l'une des principales activités, son poids économique sur le plan des revenus, et encore plus en ce qui concerne l'emploi, a progressivement diminué par rapport à d'autres nouveaux secteurs. En tant que pays exportateur, les principales raisons en sont les changements au niveau de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l'Union européenne (UE) apportés au commerce du sucre depuis la fin des années 2000, qui ont entraîné des chutes drastiques des revenus sucriers. En réponse, l'industrie a dû adopter une série de mesures pour se restructurer, comme l'indique le rapport sur la Stratégie d’adaptation pluriannuelle 2006-2015 afin de maintenir sa productivité et sa compétitivité.
La canne à sucre est cultivée sur une superficie totale d'environ 50 000 ha et l'île a la capacité de produire environ 500 000 tonnes de sucre par an. Il existe actuellement trois sucreries qui produisent à la fois du sucre blanc raffiné ainsi que des sucres spéciaux à haute valeur ajoutée. En 2017, les recettes provenant de l’exportation de sucre ont représenté 8 538,1 millions de roupies mauriciennes (soit 254,5 millions USD). Les petits agriculteurs cultivant une superficie inférieure à 10 ha totalisaient environ 11 031 ha et représentaient environ 22 % de la production nationale en 2017. On estime que la superficie des terres sous culture de canne à sucre a diminué de 44 % en 2017 par rapport à 2006.
Les derniers prix-planchers mondiaux du sucre ont encore plus découragé certains petits agriculteurs et ce, en raison de l'absence d'autres options viables ; leurs terres sont laissées dans un état d’abandon. Même si la contribution des exportations de sucre au PIB national par rapport à d'autres secteurs économiques est très faible, la culture de la canne à sucre a un rôle multifonctionnel à jouer. À Maurice, la canne à sucre est exploitée non seulement pour la production de sucre comme édulcorant, mais aussi pour la production d'électricité en se servant de la bagasse et pour la production d'éthanol à partir de la mélasse. Elle contribue à la préservation du patrimoine naturel en luttant contre l'érosion des sols, et au bout du compte empêche la pollution des plages et lagunes. Ainsi, elle promeut la diversité écologique et la préservation environnementale de la beauté naturelle de l'île, qui est la base de l’industrie touristique florissante.
Du côté de la commercialisation, les acheteurs internationaux de sucre s'intéressent non seulement à la gamme des produits mauriciens, mais apprécient aussi énormément la qualité supérieure du sucre et la fiabilité de la logistique d'exportation construite au fil des ans. Fairtrade International se procure du sucre produit par les petits agriculteurs des sociétés coopératives certifiées et auditées par Flocert en offrant une prime de 60 USD supplémentaire par tonne métrique (t). Pour la période 2009-2018, quelque 201 000 t de sucre ont été vendues pour environ 420 millions de roupies, en tant que prime additionnelle aux recettes normales du sucre, dont ont bénéficié à peu près 4 000 petits agriculteurs. Une autre initiative récente est le projet de développement durable Altromercato-Ferrero. Pour la période 2016-2020, Ferrero a conclu des contrats avec 25 sociétés coopératives comptant quelque 800 agriculteurs pour l'achat de 4 000 t de sucre par an, assorti d’une prime de 40 euros par tonne métrique, au-dessus des recettes normales du sucre. Le pourcentage de producteurs impliqués dans ces initiatives représente environ 35 % du nombre total de producteurs, ce qui devrait encore augmenter. En outre, un intérêt croissant pour la production de sucre biologique à Maurice est observé, ce qui nécessite la mise en place d'une toute nouvelle chaîne de valeur.
Toutefois, ces changements ont également nécessité un changement de comportement de la part des agriculteurs concernés, afin de se conformer aux normes imposées par les organismes de certification respectifs, comme la bonne gouvernance et les responsabilités environnementales et sociétales.
La plupart des producteurs mauriciens de canne à sucre sont propriétaires de leurs terres, qu'ils ont acquises auprès de grands domaines sucriers. Cependant, ils font face à des défis liés à la pénurie de main-d'œuvre, aux coûts de production élevés et au manque de gestion collective. Une enquête récente révèle que les deux tiers des planteurs sont des hommes, partis à la retraite ou retraités, âgés de 60 ans ou plus, et que 96,3 % d'entre eux ont obtenu au moins un enseignement primaire ou supérieur et que la propriété moyenne par agriculteur est d'environ un hectare.
En général, la plupart des planteurs ont tendance à suivre les pratiques agricoles recommandées telles qu'elles sont énoncées par les services de recherche et de vulgarisation. Toutefois, la réalisation de réductions importantes de leur coût de production grâce à la mécanisation des opérations sur le terrain représente encore un défi de taille. La raison en est la petite taille des exploitations et la disposition des terrains. Les tentatives de regroupement des parcelles des petits producteurs en unités plus grandes n'ont guère connu de succès. À l'exception de quelques planteurs qui ont recours à la récolte mécanique, la plupart d'entre eux dépendent fortement de la main-d'œuvre occasionnelle dans leurs régions respectives ou de petits entrepreneurs en main-d'œuvre et de transport.
Pleinement conscientes des défis existants dans l'industrie cannière, les politiques gouvernementales successives ont toujours soutenu l’ensemble des parties prenantes concernées, en particulier les petits exploitants agricoles. Ils bénéficient des services d'une palette d'institutions de recherche, de vulgarisation et de formation, d'installations de stockage de sucre, de fonctions de politiques et de réglementation sous l'égide de la Mauritius Cane Industry Authority, qui depuis 2 ans leur apporte une assistance gratuite. Les petits producteurs bénéficient également d'un soutien direct par le biais de subventions et de dons pour, par exemple, l’épierrage et le renouvellement des cultures de canne à sucre (Projet de regroupement des petits planteurs et Système de gestion des terres agricoles). En outre, dans le but d'assurer la juste rémunération des sous-produits de la canne à sucre, le gouvernement a entamé un processus d'examen des sources de revenus et, à court terme, il pérennise le maintien en place des petits agriculteurs en mettant en œuvre une politique de soutien des prix en plus des prix du marché obtenus.
Résilience. Depuis plus de 380 ans, que la canne à sucre est exploitée à Maurice, une nouvelle mentalité est en train d’être cultivée.