Dr. Effiong Essien, adjoint spécial principal auprès du président du Nigéria chargé du Plan de redressement et de croissance économiques (ERGP) pour l’agriculture et le transport, a participé au Dialogue sur les Politiques organisé par CABRI qui portait sur « Le rôle des gouvernements dans le développement des chaînes de valeur dans le secteur de l’agriculture pour la création d’emplois et la réduction de la pauvreté ». Il a présenté les chaînes de valeur nigérianes du riz et du manioc. Dans ce blog, il s’étend sur certaines mesures prises par le gouvernement pour relever le défi posé par le morcellement des terres.
L’élaboration de la politique agricole, à plus forte raison sa mise en œuvre, est d’une simplicité trompeuse, surtout pour les pays ayant à relever des défis à plusieurs niveaux, tels que des intrants de mauvaise qualité, le morcellement des terres et le coût élevé du crédit à l’agriculture. Le Nigéria est l’un de ces pays dont les petits exploitants agricoles constituent 70 % de la population agricole et possèdent chacun moins de 2 hectares de terre en moyenne. Ces petits exploitants sont responsables de 90 % de la productivité agricole totale du pays. Avec ce type de propriété foncière morcelée, ces petits exploitants agricoles, seuls, peuvent difficilement avoir accès au crédit et aux infrastructures comme l’irrigation intégrée et l’usage de tracteurs pour optimiser leurs investissements et en tirer des profits.
Malgré ces défis, le Nigéria a amplement l’opportunité de diversifier son économie grâce à la transformation de l’agriculture. L’une de ces opportunités, est le fait que le Nigéria qui compte une superficie de 79 millions d’hectares de terres arables, n’en a jusqu’à présent cultivés que 46 %. En outre, l’augmentation de la production agricole du Nigéria se fait par l’expansion des terres agricoles car les rendements des cultures ont diminué, une situation qui pourrait facilement s’inverser par l’introduction de meilleures pratiques et de technologies innovantes afin d’optimiser les zones déjà cultivées. Une autre possibilité est que le Nigéria à lui tout seul, représente un immense marché pour l’alimentation et les produits alimentaires, du fait de l’importance de sa population de 193 millions d’habitants, ce qui en fait la 7e plus grande population mondiale, au point de devenir la 3e nation la plus peuplée au monde avec 410 millions de personnes en 2050. Le Nigéria est actuellement le plus gros producteur mondial d’igname et de manioc, deux produits importants qui n’ont pas encore été transformés en produits à haute valeur pour les marchés industriels et d’exportation. En tant que l’un des plus gros pays consommateurs de riz, le Nigéria a accompli des progrès considérables dans les efforts qu’il a déployés afin d’atteindre son autonomie dans la production rizicole. Bien que les cultures contribuent à environ 89 % du PIB du secteur agricole, le bétail avec une contribution de 8 % offre une immense opportunité d’investissements pour répondre aux besoins actuels et futurs en protéines animales d’une population en forte expansion.
Le Nigéria, comme de nombreux autres pays souffre du manque de mise en œuvre de plans attrayants pour l’agriculture. C’est pour remédier à cet échec, que le Plan de redressement et de croissance économiques (ERGP) 2017-2020 a été conçu, non seulement pour donner la priorité à l’agriculture dans le cadre de son exécution, mais aussi pour accorder une plus grande importance à la mise en œuvre du plan.
- En faisant de l’agriculture une priorité d’exécution, des hypothèses clés ont été formulées. Premièrement, de stimuler la productivité agricole en facilitant l’accès aux intrants (y compris les terres), au crédit et aux services de vulgarisation. Deuxièmement, d’intégrer la chaîne de valeur agricole et d’améliorer l’accès aux marchés. Troisièmement, d’utiliser efficacement l’irrigation des terres et les infrastructures des bassins fluviaux pour permettre une production agricole tout au long de l’année.
- En ce qui concerne la mise en œuvre, Il y a environ trois approches globales visant à accélérer la réalisation de progrès et l’obtention de résultats concrets sur le terrain. Tout d’abord, l’accent est mis sur « l’ensemble du gouvernement » - qui exige l’alignement du budget sur les objectifs de la politique par le biais de rencontres bilatérales sur le budget. En d’autres termes, le budget du gouvernement fédéral devrait catalyser les investissements du secteur privé dans une proportion de un à cinq dollars. Le Plan de redressement et de croissance économiques a été fondamentalement conçu pour indiquer l’utilisation des fonds du secteur privé et la capacité novatrice de transformation de l’agriculture. À cet effet pour la première fois depuis plusieurs années une rencontre bilatérale budgétaire s’est tenue en 2017 pour veiller à ce que chaque poste budgétaire corresponde à l’objectif de l’ERGP et instaure une synergie - que tous les objectifs transversaux agricoles de l’ensemble des ministères, départements et agences de l’administration publique soient clairement alignés. Deuxièmement, la facilité d’accès aux terres agricoles sera réalisée grâce à l’engagement progressif auprès des administrations publiques infranationales étant donné que ces dernières contrôlent les terres. Troisièmement, une approche multipartite est déployée pour faire participer d’autres parties prenantes clés, surtout les opérateurs du secteur privé. La politique insiste sur l’importance de promouvoir le secteur privé comme moteur de la croissance pour mener le processus de transformation de l’agriculture, étant donné que le budget de l’État est loin d’être suffisant pour offrir l’intervention dont a besoin le secteur. Le rôle de coordination et de suivi du secteur public est indispensable au bon déroulement de cette approche, tout en autorisant le secteur privé à avoir plus de pouvoirs et à prospérer tout en encourageant la synergie entre les deux secteurs.
Le Nigéria a trouvé que l’approche multipartite, était une approche novatrice, qui lui permettait de tirer parti de la puissance du secteur privé pour dimensionner l’agriculture dans le cadre de son plan économique de mise en œuvre. Grâce à cette approche, la méthodologie Focus Lab a été correctement déployée afin d’accélérer les investissements et résoudre des problèmes agricoles complexes entre agences. Dans le cadre de Focus Lab, les rencontres entre fonctionnaires de haut niveau, chefs d’entreprise du secteur privé et partenaires du développement sont maintenues jusqu’à la résolution des problèmes spécifiques dans les délais impartis. En 2018, le Nigéria a organisé une série de ses premiers Focus Lab pendant une période ininterrompue de six semaines. À l’issue de cette série, les participants du secteur privé se sont engagés à investir 1,2 milliard de dollars américains et à créer 110 000 emplois dans le secteur de l’agriculture si le gouvernement s’engageait à fournir les catalyseurs nécessaires proposés dans ce processus. Le Nigéria prévoit de tenir une autre série de Focus Labs pour attirer progressivement l’investissement et l’innovation dans son secteur agricole.
C’est également au cours du Focus Lab que des solutions de regroupement des terres morcelées, d’agrégation des produits et d’harmonisation des critères destinés au secteur privé, ont conduit à la mise en place du système de plantations satellites par les grands acteurs. Dans le cadre de ce système, les grands acteurs serviront d’acheteurs des produits pour les marchés intérieurs, industriels et régionaux tandis que les petits exploitants seront les cultivateurs sous-traitants. Les plantations satellites devront promouvoir les meilleures pratiques du secteur privé, le soutien de l’État et la participation des agriculteurs. En regroupant les terres morcelées, les plantations satellites sont utilisées pour organiser les agriculteurs afin qu’ils augmentent les rendements de l’activité économique et des cultures dans la localité où ces plantations se trouvent, accroissant ainsi la productivité globale du secteur et créant des emplois pour des millions de personnes. Le système servira de base aux grands acteurs pour agréger les produits provenant des petits exploitants qui représentent 70 % de la communauté agricole afin qu’ils s’initient aux meilleures pratiques et optimisent le rendement à l’hectare. La participation du gouvernement assure l’existence d’un équilibre des forces au sein des rencontres, la vérification et la saisie de l’identité des agriculteurs, leur enregistrement dans le système national d’identification et leur certification (homologation) dans le cadre du système de plantations satellites. La participation du secteur privé garantit la dispensation d’une formation de qualité, l’octroi de crédits et la fourniture d’intrants comme les semis et les engrais, aux petits exploitants participants en temps opportun et selon les besoins. Cette approche semble être l’approche la plus systématique que le Nigeria ait utilisé pour optimiser le rendement, attirer les investissements dans l’agriculture et créer des emplois avec la perspective ultime d’utiliser l’agriculture pour diversifier l’économie hors pétrole, et parvenir à la prospérité à grande échelle.
Grâce aux efforts gouvernementaux concertés mentionnés ci-dessus, concernant la mise en œuvre de ce plan agricole, il se peut que le Nigéria soit enfin en mesure de voir le morcellement des terres comme une opportunité de grande prospérité au lieu d’un obstacle à la transformation de l’agriculture.